Xavier Daval est président de SER-SOLER, vice-président du Conseil Solaire Mondial (Global Solar Council) et fondateur de KiloWattsol, une société de conseils techniques indépendante. Pour lui, le solaire sera l’énergie gagnante du siècle et le catalyseur de la digitalisation de l’énergie dont les usages en seront les moteurs.
Xavier Daval est président de SER-SOLER, vice-président du Conseil Solaire Mondial et fondateur de KiloWattsol
On assiste aujourd’hui à l’émergence du marché de la digitalisation de l’énergie, pour quelles raisons ?
La digitalisation de l’énergie est inéluctable. A l’instar de ce que l’on a connu dans les télécoms où on est passé en quelques années seulement d’une infrastructure analogique très développée et performante à une infrastructure à 90 % sans fil beaucoup plus agile. Pour l’énergie, la même mutation est en cours. Les réseaux électriques analogiques ont été conçus avec des contraintes techniques fortes liées aux machines tournantes mais archaïques face aux nouveaux usages et à la transition énergétique. Aujourd’hui, on produit et on distribue l’électricité sans savoir si l’usager à l’autre bout de la chaîne en a besoin à l’instant t et en même temps l’énergie devient de plus en plus précieuse. Avec la digitalisation de l’énergie, il va être possible de diriger l’électricité là où sont les besoins, les pertes seront plus limitées. C’est l’ère de la juste production et de la juste distribution qui s’ouvre. Nos réseaux électriques ne seront plus passifs mais actifs et intelligents. La question est de savoir quand on va stopper l’analogique.
Comment ces nouveaux réseaux vont-ils se déployer ?
Le 21ème siècle va être marqué par une forte poussée de l’énergie électrique. De plus en plus d’usages deviennent électriques et les besoins explosent. Par exemple, la multiplication des téléphones portables qui doivent être rechargés chaque jour, la voiture thermique qui devient électrique… la digitalisation de l’énergie se structurera dans les usages. Et il va falloir être de plus en plus intelligent ! Le moindre électron produit devra trouver son consommateur. Pour cela, il faut multiplier les petits réseaux en local. La production d’énergie au niveau d'îlots qui mixeront habitations, entreprises, commerces, devra être mutualisée puis acheminée là où on en a besoin… en journée vers les entreprises, les weekends vers les particuliers etc… C’est ce que j’appelle de la coexistence intelligente qui sera possible grâce à la technologie : la blockchain pour superviser toutes les données liées à l’énergie, les onduleurs intelligents, véritables gestionnaires d’énergie ou encore les smart valves, capables de piloter les goulots d’étranglement de l’énergie…
Comment l’énergie solaire prend-elle part à cette mutation ?
La digitalisation sera poussée par les énergies renouvelables qui fonctionnent avec des convertisseurs numériques toujours plus performants. Et le solaire va devenir l’énergie gagnante. Elle est robuste, simple, pas chère et résiliente. Le composant de base du solaire, le panneau photovoltaïque, est identique dans le monde entier que ce soit sur une centrale d’un gigawatt sur un plateau du Tibet ou sur une petite installation de quelques centaines de Watts en Afrique. De nouvelles infrastructures électriques associées au solaire sont montées dans certains pays en voie de développement, en Afrique par exemple. Ces installations sont modestes : un onduleur intelligent, quelques panneaux PV, des batteries pour le stockage, un chevelu de fils entre les maisons de ces villes champignon pour les relier. Ce ne sont pas des dispositifs de luxe comme les démonstrateurs en Europe, plutôt de petites infrastructures, du bricolage qui marche. Mais ce système permettra à terme à des millions de personnes d’être interconnectées et de mutualiser leurs électrons. Le besoin stimule les solutions innovantes et tout progrès bénéficie à toute la chaîne de valeur. C’est la beauté du solaire… la digitalisation de l’énergie se construira de cette façon.
Au-delà de la technologie, vous parlez d’une nécessaire prise de conscience des usagers ?
Oui, cette évolution technique majeure induit une évolution sociétale et culturelle. L’énergie devient un bien précieux. Les usagers doivent la considérer et la gérer autrement. Une prise de conscience est indispensable pour faciliter le développement des réseaux énergétiques intelligents. C’est ce qui est en train de se produire avec la montée en puissance de l’autoconsommation, un sujet complexe qui consiste à essayer d’auto-utiliser les électrons produits. J’ai accompagné récemment une entreprise dans une installation d’autoconsommation. A partir du moment où elle a généré ses propres électrons, elle a immédiatement réfléchi à son process de production pour optimiser sa consommation d’énergie. Cette prise de conscience doit se déployer en même temps que les réseaux intelligents. Les conditions sont aujourd’hui favorables.
Côté acteurs, où en sont-ils ?
Le marché et les acteurs se structurent. En France, bon nombre d’acteurs industriels ont pris le virage d’une digitalisation dans leur métier et l’arrivée beaucoup plus rapide des véhicules électriques va encore accélérer cette tendance. Le virage de Michelin il y a 10 ans est à ce titre remarquable. Le groupe veut devenir un leader du monde digital avec, entre autres, des sujets comme la digitalisation embarquée. Il y a nécessairement des interactions avec la digitalisation de l’énergie.
En Chine, ça bouge beaucoup. Les acteurs chinois devraient eux aussi prendre leur part et ils se préparent. Chez Huawei, les divisions Energie et Digitale viennent de fusionner. Au-delà, comme tout est à faire, ce sont les opérateurs chinois qui boostent l’innovation technologique et initient la conception des équipements avec les fabricants. Je suis impressionné de voir la synergie entre les industriels du photovoltaïque et les opérateurs électriques chinois.
Enfin, côté Télécoms et GAFAM, il va falloir compter avec eux. Ils gèrent d’énormes data centers, l’énergie est pour eux un vrai sujet. En plus, ils bénéficient d’une culture digitale et d’une expertise dans le déploiement des réseaux depuis 20 ans, la 2G, la 4G puis la 5G.